Là où le ciel effleure la terre

Des gens du Québec en Roumanie du 16 au 27 septembre 2009 (Deuxième chronique d’un périple pour le corps, le cœur, l’esprit et l’âme du voyageur).

Si nous avions rêvé la Roumanie durant les mois qui précédèrent ce voyage, nous avons palpé la réalité en arrivant à Bucarest le 17 septembre 2009. On dit souvent que toutes les grandes villes se ressemblent, drapées dans l’anonymat et un va-et-vient continu, plutôt bruyant. Mais Bucarest a ses caractéristiques propres « perdu dans le triangle des places de l’Union, du 21 décembre 1989 et de l’Université »1. Et comme toute grande ville, ses trésors restent inépuisables et il faudrait un long séjour pour en goûter plusieurs, toujours convaincus, cependant, qu’on ne pourrait pas tous les découvrir. Plusieurs de notre groupe de neuf personnes avaient déjà visité des capitales d’autres pays européens. Mais celle-ci ne ressemble à aucune autre.

La configuration de la ville tisse sa propre histoire. Si elle a su émerger après des bombardements de la seconde Guerre mondiale, elle a eu toute la misère au monde à naître à elle-même car l’idéologie communiste, avec son utopie égalitaire, a laissé en témoins de nombreux édifices de couleur gris terne. Bâtisses mornes et sans aucune esthétique, encore occupés aujourd’hui  par, probablement, un prolétariat que cette idéologie n’a jamais pu  satisfaire, même minimalement. La corruption semble marquer le battement vital de cette capitale aux contrastes époustouflants, aux paradoxes renversants. Ce genre de corruption est tel un cancer qui se généralise dans toute l’organisation politique, bureaucratique et policière, corruption commandée par la soif du pouvoir à conserver, les alliés du pouvoir à récompenser, et pour d’autres, une sorte de marché noir de faveurs et de privilèges. Et cela ressemble bien aux mêmes types de corruption que l’on retrouve dans d’autres régimes politiques, y compris le néolibéralisme de pays capitalistes. Chaque personne tente de tirer son épingle du jeu au détriment de quelqu’un d’autre. Un chauffeur de taxi, par exemple, n’a jamais voulu nous remettre le change pour la course du centre ville à notre hôtel. Cela stimule la prudence du touriste qui évitera de se faire prendre une seconde fois. Si vous venez au Québec par les temps qui courent, vous constaterez que les médias font état de nombreuses allégations de corruption au sein du gouvernement libéral en place. L’éthique est le maillon le plus absent ou le plus faible dans toutes les organisations humaines, chez vous comme chez nous!

Si Montréal a de nombreux quartiers – certains sont à l’enseigne d’une majorité ethnique visible – tel ne semble pas être le cas à Bucarest. Le pouvoir communiste a voulu camoufler des lieux de cultes en les déplaçant, raser des quartiers entiers pour créer des monuments de gloire et laisser miroiter réussite et succès économiques. Où est le centre-ville de Bucarest?  La vieille ville, Lipscani voudrait bien revendiquer ce titre envié mais pourquoi pas le quartier latin comme on dit ici, situé au nord-est de Lipscani? Et si nous regardons au sud la Piata Unirii, elle aboutit au palais du Parlement (ancienne Maison du Peuple?), disproportionné comme si la gouvernance de l’époque voulait dépasser la Maison Blanche des États-Unis!
Pour le marcheur qui cherche un coin paisible, un parc public, il faut aller au « Petit Paris » au nord de la Piata George Enescu et de l’Athenee Palace. Quelques villas de grand prix, quelques bâtiments restaurés. Bucarest pourrait devenir progressivement un « joyau » parmi les capitales européennes. Mais cela exige des ressources financières et une volonté politique de reconfigurer une capitale qui en aurait bien besoin. Des architectes d’ici auraient beaucoup à faire pour identifier divers styles qui se superposent et en trouver les repères dans l’histoire même de la Roumanie.

Les influences staliniennes, et à partir de 1965, du dictateur Ceausescu permet de situer certaines influences d’ailleurs (Corée du Nord). Le nouveau centre administratif en témoigne de façon singulière. La Roumanie moderne présente le centre commercial Unirea qui se confond aisément avec n’importe lequel des centres commerciaux occidentaux. Le consumérisme prend sa place dans cette nouvelle économie où les biens de luxe s’achètent en euros et le reste en lei…et, même dans les campagnes, l’ancienne monnaie d’avant le lehu  n’est pas encore effacée de la mémoire d’aubergistes ou d’agriculteurs. Nous avons pu visiter des parties du siège de l’Église orthodoxe roumaine (qui a échappé aux visées de démolition du dictateur Ceausescu et le palais patriarcal où réside l’évêque de Bucarest (palais datant  de 1708).

Nous avons pu, dès lors constater, la force du pouvoir religieux dans sa résistance aux ambitions opportunistes de votre ancien dictateur. Cela nous rappelle que l’église catholique fut, dans le destin du peuple québécois d’autrefois – en ce temps où on parlait de canadiens-français – la protectrice de la langue et de la foi.  L’histoire éclaire les héritages. Mais les héritiers veulent-ils encore de certains héritages? La question se pose, chez vous comme chez nous.
Rapidement, nous avons pu constater le fait universel des jeunes : assemblés sur le long d’un boulevard autour de musiciens, marqués par les tatouages et les agrafes du « body piercing ».

Les chiens errants et nombreux, abandonnés. Et au plan humain, des orphelinats qui logent des enfants eux aussi abandonnés, seuls, au destin de leur vie. La rumeur voudrait que ce soit surtout les tziganes qui les délaissent…mais est-ce vraiment fondé? Nous attendons une réponse bien documentée à ce sujet de votre part. Au retour, avant notre départ, nous sommes allés en visiter un pour donner des vêtements rapportés du Québec. Cela avait été prévu dans nos bagages. Le Québec a eu aussi des orphelinats nombreux à une autre époque. Le système social actuel est différent et se veut efficace. Beaucoup d’adoptions de couples québécois se fait auprès de pays de l’Asie du Sud-est, de la Chine, de la Russie etc. Je ne sais pas s’il y a un partenariat à ce chapitre entre le Canada/le Québec et la Roumanie. Si je m’étais personnel-lement écouté, j’aurais spontanément adopté un de ces enfants de l’orphelinat à Bucarest.

Yvon R. Théroux, bioéthicien, religiologue et théologien (Université de Sherbrooke, UTA).

1 Roumanie, Bibliothèque du voyageur, collection Guides Gallimard, Paris, 2008, p. 113.

Comentarii

comentarii

Scroll to top